kerberos ☽ throw me to the wolves and i will return leading the pack

Le froid, les aboiements. Des grognements, en pagaille. Dans ta bouche, contre tes gencives édentées, le goût de la boue, ton premier repas. Petit bras, faussement dodus, du sang, une odeur de pins... de poils mouillés aussi... Puis un souffle, chaud, un soupire maternel qui s'échappe en buée dense. Puant pour quiconque, sauf pour toi. Si rassurant, si familier. Et puis ça revient, les grognements, les babines qui se retroussent, les poils qui s'hérissent. Tu sens l'animosité, l'agressivité de ce monde qui bientôt deviendra le tien. Recueillis, ramassé, prit entre ses pattes, une chienne, une louve, tu ne sais plus très bien. Seul son odeur reste, ses coups de langues, ses jappements doux et soignés, articulés rien que pour toi, pour que tu puisses les répéter, en boucle. Un langage de survis, interprété à ta manière. Au début tout est difficile, tu manques de mourir, gober, déchiqueter, mais tu t'en sors plutôt bien. L'instinct, la force, le courage aussi... tout ça t'as mené à éviter les coups bas de la meute. Tu t'es plié aux règles, tu en as créé certaine. Tu as tué aussi, brisé des nuques, cassé des colonnes, à la force même de tes bras.

Tu étais un peu loup, un peu chien, mais sûrement pas homme.

14 ans, jeune, puissant, tu étais devenu l'Alpha, le plus puissant, le roi, le chef incontesté. Personne, pas même les plus courageux de la meute n'osaient se frotter à toi. Puis la maladie, la peste des loups, l'apocalypse, la fin de tout, de ton monde, de ta famille...Puis l'arrivée d'humains, tout autre, des humains possiblement bons, des humains parfumés aux fleurs et aux fruits... Des humains qui n'avaient pas l'haleine lourde, qui n'avaient pas le poil drus, qui n'avaient pas de bâton cracheur de feu. Des humains... dont les mots semblaient jappements poétiques. Ils t'ont embarqué, capturé, attrapé par la peau du cou. Porté loin des tiens ou du moins de ce qu'il en restait. Pas le droit de mordre, de grogner, de griffer. Il fallait parler, s'écouter japper. Le respect était tout autre ici. Si différent, si lent... si compliqué. Il y avait des manières que les loups n'avaient pas, et les loups avaient des sons et des émotions que les bipèdes ne possédaient pas non plus. Ce fut compliqué en soit, mais pas insurmontable. Tu as donc appris à écrire et à lire. Tu gardes un accent étrange, un peu sauvage, un ton d'un autre temps pendant toute ton adolescence. Tes nouveaux parents sont cependant très complices et d'une patience hors pair. Ils finissent même par te soigner, par retirer le loup qui était en toi. Où du moins le croyaient ils. Tu continues de porter en toi cet animal. Spasmes sauvages. Bagarreur, tu n'as pas arrêté de l'être. Tu étais mal vue au lycée, une véritable bête de foire, mais ça ne t'as pas empêché de te faire quelques amis, de vivre une vie américaine plus ou moins normale.

Petit à petit l'animal laisse place à l'homme. À l'université, tout semble s'arranger. Tu prends part aux activités scolaires et extra scolaire, tu fais même du sport, beaucoup de sport. Ça te défoule, ça te fait un bien fou. Tu fais partiellement partie de l'équipe de football américain du campus. Partiellement oui. Ton agressivité et ta force sont des atouts majeurs, c'est vrai, mais les fautes sont nombreuses et pas rare fut les fois où tu as brisés un ou deux os. En dehors de ça, des sports de combats, en pagaille. Là où ça frappe, ça cogne. Doué, oui, tu l'étais. Puis tu l'as rencontré. Une fille à caractère, une femme un peu louve, à tes yeux. Une personne formidable, qui était forte, imprévisible, sauvage aussi.


Le meurtre est une pulsion unique. Rare ? Non. Elle est dans chacun de nous, un peu plus souple chez certain, plus tolérante, patiente. Elle se balade, comme cancer sous la peau. Elle pique les tempéraments, ébranle les cœurs, ignore les règles, surmontes l'éthique. Elle fait tout tomber, dans un moment que l'on croit souvent glorieux. Elle est purificatrice autant que destructrice. Quand on y a goûté, quand on a planté ses crocs comme un chasseur assassin, on ne peut jamais s'en défaire. Elle s'est forcement enroulée, comme collier à piques autour de la nuque, pour la serrer, la contracter, l'écraser sous une extase maladroite. Sweet reminder. Breath taker Le goût du sang sur la langue, son touché coagulé sur une peau hérissée d'adrénaline. Drogué à vif. Une entaille trop profonde, trop vivante qu'est celle de l'instinct. Il en faut du courage, de cette essence invisible pour ôter la vie d'un des siens. Ton enfant... à tes yeux, était mort né. Blessé, souffreteux. Il était destiné à mourir, à perdre son souffle... Mère nature t'avais doté d'un don, d'un devoir. Une impulsion simple, un acte héroïque, un acte de sauvetage. En tant que père, en tant que chef de meute... C'était ton devoir. Ta mère louve te l'aurait susurré, elle te l'aurait soufflé dans l'oreille comme douces paroles que l'on boit larme à l'œil. Elle te l'aurait dit d'une façon si poétique que tu aurais retenu tes larmes, peur de blesser d'avantage l'âme du condamné. Elle ne t'aurait pas supplié, car tu comprenais vite. Alors tu l'as fais, en souvenir, en acte triomphale, pour lui, comme pour elle. Tu as tenté de l'expliquer, pendant que tu l'as repoussé de tes bras puissants. Tu lui as dit, répété... 50, 100, 1000 fois... « C'est pour son bien, pour le notre, et pour nos futurs. » Elle n'a rien voulu entendre. Trop humaine, pas assez louve, elle t'a blessé, et tu as replongé, tu as attaqué, violemment, après avoir déchiqueté le petit, c'est la mère que tu as emporté dans l'autre monde. Ce fut rapide, délicieusement rapide. Tu n'as pas pleuré, car les loups ne pleurent pas leur perte... mais tu étais triste... trop triste. Plus triste que tu ne t'aurais cru capable de l'être. Si triste que tu es parti. Si triste que tu t'es transformé pour ne plus rien ressentir. Tu es là maintenant, gardien d'un monde à part où l'instinct est l'arme de survis première. Tu es le geôlier de ce paradis perdu, suivi de tes démons que tu as finis par accepter.