ft. Matthew Bell
I wonder how, I wonder why
Yesterday you told me 'bout the blue blue sky
And all that I can see is just a yellow lemon-tree
I'm turning my head up and down
I'm turning turning turning turning turning around
And all that I can see is just another lemon-tree♫ Je suppose que vous vous demandez ce qu'un mec comme moi fait ici.
C'est légitime, je ne vous en veux pas. Et heureusement encore, ça serait un comble, alors que je m'apprête à vous décevoir ! Je ne peux pas vous éclairer, pas même un minimum, car je ne sais pas moi même ce qui m'a poussé à venir ici, ou même à remplir ce formulaire en premier lieu.
Je suis- ou plutôt j'étais quelqu'un de normal, qui menait une existence banale, et qui n'avait aucune raison de changer de vie. J'avais même une copine et un chat.
Évidemment, vous vous en doutez bien, tout ça est un mensonge. Je ne suis pas bien différent de vous tous. Moi aussi, je cherche à fuir à quelque chose qui fait mal, tellement mal que même en parler donne l'impression qu'on va mourir. Vous comprendrez donc pourquoi je préférerais m'arrêter là, et vous faire croire à tous que je suis juste un simple mec qui a rempli ce formulaire pour rire, pour déconner, sans y croire ou même espérer.
Mais je sais que vous n'allez pas me lâcher avant d'avoir ce que vous voulez. Alors OK, je vais vous raconter « mon » histoire.
La première chose que vous devez savoir, c'est que ce n'était pas de ma faute.
Avant l'accident, « moi » était un mec normal, avec ses qualités et ses défauts, appréciable, mais pas remarquable.
Je ne peux pas vous en dire plus sur ce lui. Le lendemain de l'accident déjà, j'avais oublié son existence, comme si le temps l'avait avalé.
Parfois, des souvenirs comme des éclairs traversaient mon esprit, quand je sentais le parfum fugace du citron dans l'air, quand le soleil enflammait une chevelure blonde, ou quand la radio jouait un morceau de Fools Garden. Ils n’annonçaient pas leur arrivée, ne sonnaient pas à la porte, ne me faisaient pas de cadeau, et me laissait toujours avec cette impression étrange qu'on ressent parfois après une mauvaise sieste. Vous savez laquelle. Celle qui nous pousse à questionner le temps et la réalité, et qui nous rend vaguement malade.
Ainsi, je pouvais passer « une journée agréable » avec mes amis, et me retrouver choqué, incapable de bouger, de parler, les yeux rivés sur un nuage en forme d'ourson, et ne revenir à moi que lorsque le vent l'avait emporté à l'horizon.
Avant de me résoudre à espérer -comprenez, avant d'avoir perdu absolument tout espoir- qu'un formulaire trouvé par hasard sur internet puisse changer ma vie, j'ai essayé beaucoup de chose. Et par beaucoup de chose, je ne parle pas de yoga ou de devenir vegan, mais d'augmenter ma consommation de tabac, et le volume de ma musique assez fort pour ne plus m'entendre penser.
Ne pas voir le Mal, ne pas entendre le Mal, ne pas dire le Mal, et espérer que le Mal s'en aille, lassé d'être ignoré, était mon moto. Je ne pouvais peut-être pas empêcher les souvenirs de revenir, mais je pouvais toujours les ignorer.
Mon psy se rendait dingue à m'expliquer rendez-vous après rendez-vous les failles dans ma méthode. Le pauvre type ne se rendait pas compte de l'ironie de la situation. Faire comprendre à l'incarnation humaine des singes de la sagesse qu'il devait accepter de l'écouter, de voir la vérité, de parler de ses problèmes... Vous voyez où est le problème ?
Pourquoi est-ce que je continuais à venir, semaine après semaine, si je ne cherchais pas à aller mieux ? m'a t-il demandé, après une consultation où nous avions bien avancé sur le chemin du néant.
Probablement pour la même raison qui me faisait tenter d'étouffer mes démons avec la fumée de mes cigarettes, aurais-je pu répondre, si je n'avais pas était aussi loin dans le déni.
Pourtant, quelque chose ne tournait bel et bien pas rond dans ma vie. Ma seule présence dans ce cabinet allait à l'encontre même du sourire parfait que j'affichais en toute circonstance depuis l'accident. Mais mon psy et mes amis percevaient ce quelque chose d'une manière différente de la mienne. Je savais qu'ils pensaient que je n'étais pas -plus- normal. Personne n'est aussi indifférent à la mort, personne ne réagit à un accident pareil comme je l'ai fait. Une fois, j'ai été à un groupe de soutien, et je me suis senti aussi étranger à ces gens qu'au mec que j'étais avant l'accident, et que je reconnaissais parfois dans le miroir.
Je lançais une réponse moqueuse, comme quoi au prix où je payais la séance, je pensais être en droit d'attendre qu'il me le dise.
Si le déni était mon bouclier, l'humour était mon épée. Mais j'avais beau lui et dire et lui redire que j'allais bien, à l'en faire pleurer le soir de frustration, ces rendez-vous étaient la seule chose qui m'empêchait moi de perdre la tête. Tous les jeudi à 17h, j'avais l'assurance de pouvoir scander ma propagande.
A force de répéter que j'allais bien, je finirais par l'être vraiment.
Évidemment, je ne pouvais pas lui dire tout ça. Car je savais aussi qu'ouvrir ma bouche était un premier pas vers ce qu'il attendait de moi. L'acceptation.
Je voulu le saluer avant de partir, mais le soleil de fin d'après midi rentrait par la fenêtre, et déposait dans ses cheveux blonds de la lumière. Je sais qu'il a vu la douleur dans mon regard, à ce moment suspendu dans le temps. Cette même douleur que je m’efforçais d'ignorer en menant une vie normale, et qui grandissait en moi jour après jour comme un cancer.
Alors je n'ai pas dit au revoir, et je n'y suis jamais retourné.
Sur le chemin du retour, je fis de mon mieux pour oublier les paillettes d'or. Mais j'avais l'impression qu'elles s'étaient imprimées sur ma rétine, et que le monde tout autour de moi était jaune. J'ai craqué pour la première fois ce soir là, en rentrant chez « moi ».
J'ai débarrassé la table d'un large coup de bras, envoyant la vaisselle que je négligeais toujours de remmener à la cuisine se briser par terre. Puis la télé et la chaîne, terminées à coup de pied une fois au sol. Quelques heures plus tard, j'allais regretter cet acharnement sur elles, car elles étaient précieuses à ma thérapie. Mais à cet instant, j'étais trop occupé à briser les bouteilles en les frappant sur le buffet -auquel j'envisageais sérieusement de mettre le feu- pour m'en soucier. Je ne me rappelle pas avoir lancé une lampe dans le bocal à poisson, mais le fait est que je me retrouvais à contempler Nemo agoniser entre les morceaux de verre brisés et de tissus déchirés. J'aurais pu le sauver. Je n'avais qu'à décider de le faire, me lever, le mettre dans de l'eau. Mais ça faisait trop longtemps que je m'asphyxiais moi même pour faire quoi que ce soit pour lui.
Puis, je ne pensais pas à autre chose que briser tout ce qui me tombait sous la main. L'ordre que je m’efforçais d'entretenir autour de moi depuis l'accident me paraissait soudainement insupportable.
Lorsque Nemo est mort, connard chanceux, je me suis laissé tomber sur le canapé que j'avais éventré à la main, et allumé une cigarette. Rien ne m'avait échappé, mis à part un mur, celui qui me faisait face. J'avais décroché les cadres pour les ranger à l'étage plusieurs mois auparavant, aussi, n'y avait-il rien à détruire.
(Je ne suis pas certain que j'aurais pu le faire de toute manière. Je n'aurais pas osé, et je ne pouvais détruire ce qui l'était déjà.)
J'ai du m'endormir, sûrement épuisé d'avoir apporté la touche de décoration finale à mon salon, dans le style squat. J'aimerais vous dire que lorsque je me suis réveillé, j'étais un homme nouveau, ou de nouveau l'homme d'avant l'accident. Ou même un homme transitoire, près à aller de l'avant. Mais j'aurais du dormir pendant des siècles pour ça, et je n'étais assoupi que depuis quelques minutes lorsque l'odeur du feu, et les miaulements hystériques et paniqués de Chat me réveillérent. Ma cigarette avait glissée de mes doigts, pour tomber sur les rideaux arrachés de leur triangle, et un début d'incendie s'était déclaré. J'ai regardé Chat griffer la porte pour tenter de fuir le salon, puis les rideaux, puis Chat, puis les rideaux, incapable de penser autre chose qu'un vague, « oh … voilà qu'il y a le feu maintenant. » En tentant de fuir par la fenêtre cette fois, Chat fit bouger le rideau, laissant quelques rayons dorés tomber sur mon visage. Est-ce ça où le fait que le feu touchait à présent mon canapé qui me fit réagir, je n'en sais rien. Reste qu'un en instant, je fus sur mes pieds, plus alerte et éveillé que je ne l'avais été depuis … Je ne pouvais même pas m'en rappeler.
Le feu fut vite éteint. Heureusement, j'avais brisé les bouteilles d'alcool de l'autre côté de la pièce. Cette petite maison trop grande avait beau être comme moi faites de souvenirs, je ne voulais pas que elle, soit détruite.
Mais ce réveil avait été trop brutal, de sorte que je ne réfléchis pas en grimpant quatre à quatre les escaliers, me dirigeant vers cette porte, close depuis l'accident.
J'ai peut-être crié son nom en courant vers elle. Je pensais trop fort, trop vite, je devais m'assurer qu'elle allait bien, terrifié à l'idée que j'avais pu encore lui faire du mal, de sorte qu'en ouvrant grand la porte, je m'attendais vraiment à la trouver dedans.
Mais sa chambre était vide. Elle ne ressemblait même plus à sa chambre, maintenant que j'avais entreposé les cartons contenant tous les souvenirs qu'elle m'avait laissé. La seule chose que je reconnaissais encore, dans ce débarras à l'odeur de renfermé, était son lit, avec sa couverture à fleurs, et gentiment assis dessus, ses yeux noirs rivés dans les miens, son ours en peluche Lemon.
Pour la première fois depuis sa mort, je pleurais.
Pleuré jusqu'à ce que la lumière dorée disparaisse, pleuré en serrant Lemon contre mon torse, au milieu des cartons bourrés à craquer de tout ce qui avait un jour fait Abel et Sarah Llewellyn.
La deuxième chose que vous devez savoir est que mon psy a toujours eu raison sur moi : je suis lâche, et cette connerie de thérapie que je me suis auto-ordonnée n'était qu'une manière de fuir cette réalité où ma petite sœur était morte par ma faute.
Parce que c'était ma faute. Tout était de ma faute. On ne laisse pas une gamine de six ans jouer seule dans un jardin qui borde une route. Surtout pas pour s'éloigner du temps de répondre à l'appel de son plan cul. Je la surveillais depuis le début de l'après-midi. Je ne suis parti que quelques minutes. Je n'avais pas bu, je n'avais pas fumé. J'ai seulement répondu au téléphone. Seulement.
C'était il y a deux ans. J'avais vingt quatre ans, et je ne savais pas m'occuper d'un enfant. Ne pensait pas que je me cherche des excuses, je sais que je n'en ai pas. Mais le fait est que je faisais de mon mieux pour élever cette demi-petite sœur née dix-huit ans après moi. Quand on m'a confié Sarah, j'ai pensé que c'était la meilleure chose qui pouvait lui arriver. Je n'avais aucune expérience, j'étais maladroit, mais je n'étais pas ma mère. Maintenant qu'elle est morte par ma faute, je me dis que peut-être aurait elle était mieux avec une mère au coude léger. Vivante.
Dans les jours qui ont suivi, j'évoluais dans une sorte de brouillard, probablement à cause des larmes qui ne cessaient de couler sur mes joues, enfin libre avec deux ans de prison. Je sentais à peine la patte pelucheuse de Lemon dans la mienne, me suivant partout dans la maison. Il était posé à côté de moi lorsque je me suis retrouvé sur internet, devant ce formulaire qui manqua de ne jamais être rempli, mes larmes tombant sur le clavier et se glissant entre les touches, menaçant de le faire griller.
Le mail, arriva plusieurs mois après ma crise, me fauchant dans l'état apathique dans lequel je me trouvais depuis. J'avais cessé de dire que j'allais bien, car je n'avais plus personne à qui le dire. J'avais même tourné les miroirs pour ne pas prendre le risque de vouloir m'en convaincre à nouveau.
La suite, vous la connaissez. Le voyage. L'arrivée au village.
Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps avec mon histoire, même si « mon » histoire est surtout celle de Sarah.
Vous pouvez me croire quand je vous dis que j'aimerais pouvoir parler de qui était Abel Llewellyn, avant qu'il ne ramasse Sarah Llewellyn sur la route, sous les yeux noirs de Lemon, abandonné dans le jardin que ni elle, ni moi n'aurions du quitter.
- Spoiler:
Des animaux ont été maltraité durant ce tournage. #JeSuisNemo, #PrayForNemo