❝ Eridan | where the stars fall.

« Je suis malade, Maman, laisse moi rester à la maison... » Sa mère la toise sévèrement avant de soupirer faiblement, abandonnant après près d'une heure à tenter de convaincre la plus jeune de la famille à quitter son lit. Mais rien n'y fait, Rosalind refuse de bouger. Alors la jeune femme lâche l'affaire, elle se relève, se dirige vers la porte, jetant un regard grave à l'enfant qui se terre sous ses couettes. Elle s'apprête à dire quelque chose, mais, depuis l'autre lit, des toussotements s'élèvent, alors elle secoue la tête. « Prends soin de ton frère. » Puis elle ferme la porte derrière elle. Après une nouvelle quinte de toux, la touffe de cheveux sombre émerge des couvertures et jette un regard à la petite fille qui l'observe avec inquiétude. « Tu devrais pas rater l'école pour moi, Rosa. » Et pourtant, c'est ce qu'elle fait, et ce qu'elle fera à chaque fois que la santé fragile du garçon le renverra au fond de son lit. Elle se lève, quitte son lit pour venir se lover dans celui de son aîné qui cherche d'abord à la repousser, avant d'abandonner finalement. « Je te laisserai jamais, Nate. » C'est inscrit dans leurs coeurs, Nathaniel et Rosalind, pour la vie. « Moi non plus. Jamais. »
Que vaut une promesse d'enfant face aux épreuves de la vie ?


« L'Australie ? C'est pas un peu loin ? T'es sûr ? » Demande Rosalind, accrochée à son téléphone. Cela fait des mois entiers qu'elle n'a pas vu son frère, et leur relation est si solide que ça la fait souffrir le martyr. La distance, elle la vit très mal. Et pourtant, ce dernier veut partir à l'autre bout du monde, pour ses études. Comme si, un état d'écart, c'était pas suffisant. Sa gorge se serre, au téléphone, mais elle fait mine de rien. Elle fait comme si ça allait. Elle fait comme si, parce que c'est ce qu'elle a toujours fait. Et il doit sans doute comprendre que quelque chose ne va pas, puis qu'il se racle la gorge et répond, après un silence trop long. « Tu pourrais peut-être... Venir avec moi ? J'veux dire. Je dois y aller deux semaines pour les vacances, pour tâter le terrain. On pourrait partir ensemble. Comme ça tu verrais qu'il n'y a rien à craindre ! En vérité, j'ai déjà économisé pour deux billets alors... » Elle sourit, bien sûr, mais ses yeux se gorgent d'eau salée. Il a prit sa décision, et Nathaniel est bien trop buté pour qu'on le fasse changer aisément d'avis. Et pourtant, elle accepte. Elle accepte de passer deux semaines avec lui, où il voudra, tant que c'est avec lui.
T'irais même jusqu'au bout du monde, pour ses beaux yeux...


Assis sur une plage Australienne, le duo fixait le ciel avec curiosité. Après tout, le ciel, c'est ce qui avait toujours fasciné Nathaniel, qui avait finit par transmettre sa passion à sa sœur, dans une certaine mesure. Il voulait participer à la cartographie des étoiles, dans l'idéal il aurait aimé partir là-haut, juste pour voir. Un rêve d'enfant que sa santé n'aurait jamais pu lui permettre, et il le savait. « J'ai pas envie de te laisser ici. » Murmura la cadette en serrant dans sa main les doigts de son frère, se faisant violence pour ne pas le supplier de rentrer et pourtant cela devait se trahir dans sa voix, dans ses yeux qui scrutaient le ciel pour ne pas avoir à affronter le regard du jeune homme. « Je vais pas rester ici. » Il répondit, après un long silence, comme s'il venait de passer en revue tous les pour et les contre. Il mêla ses doigts aux siens avant de sourire faiblement. « J'ai juré que je restais avec toi. » Elle voulu lui dire de rester. Elle voulu lui dire de ne pas abandonner ses rêves, pour elle, elle voulu lui dire de vivre sa vie. Le laisser voler de ses propres ailes mais son coeur le lui refusa. Parce qu'elle était égoïste. « Nate... » Elle murmura, reposant son regard dans le sien, s'apprêtant à dire quelque chose mais non seulement il l'observait déjà, mais il l'interrompit. « Regarde, là, juste au dessus, c'est Orion et Eridan. Les deux constellations que t'avais tant de mal à trouver... » Sa passion, encore, toujours, celle dont elle venait de le priver, celle à laquelle il venait de renoncer. Elle sourit faiblement en abandonnant finalement. Elle aurait juste voulu lui dire qu'elle l'aimait. C'était idiot. C'était interdit. Ça aurait pu passer pour de l'amour fraternel, mais l'un et l'autre savaient que ça n'avait rien à voir. Mais elle s'abstint. Parce qu'elle jugea que ce n'était pas le bon moment. Ou simplement qu'elle n'avait pas le droit de lui faire ça. Alors elle suivit son regard, elle observa les étoiles à son tour, le cœur serré. C'est lui qui saisit alors l'occasion, qui approcha, juste un peu, pour déposer ses lèvres contre les siennes. Un bref baiser volé, auquel il mit un terme aussi vite qu'il avait commencé. Tant et si bien qu'elle se demanda si elle ne l'avait pas rêvé. Mais non. Il l'avait fait. Puis il sourit faiblement en fermant les yeux, posant simplement son front contre le sien. « Tu restes avec moi, Eridan ? » Elle cligna des yeux en l'entendant avant de sourire à son tour, fermant les yeux également. Il voulait garder cela secret, c'était ce que ça voulait dire, c'était ce qu'elle avait comprit. « Toujours, Orion. »
Porte un masque et endosse le rôle de la fille parfaite.


Les mois qui suivirent furent plutôt calmes en réalité. Forcés de cacher au reste du monde ce qu'ils ressentaient l'un pour l'autre, Rosalind et Nathaniel, devenu Eridan et Orion profitaient cependant des moments de tranquillité, le soir, pour glisser leur main dans celle de l'autre, simplement. Ils n'avaient pas une relation charnelle consommée et ne le désirait pas particulièrement, ils voulaient simplement être ensemble. Et ils faisaient tout pour que leur petit monde ne se fasse pas briser par les règles établies. C'était compliqué, parfois, de jongler, ça et là. Et Nate avait constamment l'air dans la lune, il prétendait avoir rencontré une Australienne nommée Eridan et en parlait régulièrement à son père. Parfois le frère et la soeur échangeaient un regard, puis un sourire lors de ces conversation. On pouvait alors penser que les parents supposait Rosalind heureuse pour son frère, mais peut-être qu'ils savaient très bien ce qui se passait. Et la suite le prouva bien trop à quel point c'était vrai...
Ouvre ton cœur, saisis ta chance...
Et bascule...

Le 27 novembre 2008, la vie de Rosalind Hale bascula. C'était simplement un repas de famille, pour Thankgiving, avec toute sa famille proche, mais elle était déterminée. Elle venait de passer la majorité, elle avait fait des économies, elle avait entendu parler d'Awakening... Bref, elle était determinée à partir. A emmener Nate avec elle. Mais avant ça, elle voulait tout balancer à leur famille, parce qu'elle détestait être malhonnête et qu'au fond, elle voulait juste être acceptée, ou peut-être juste attirer l'attention. Oui. Peut-être qu'elle était complètement idiote, peut-être qu'elle voulait juste briller un peu, autrement que dans l'ombre de son aîné. Alors, juste après la dinde, lorsque sa mère se leva pour aller chercher le fromage. Lorsque sa tante qu'elle haïssait déballait sa vie de célibataire cinquantenaire endurcie, ses flirts avec des jeunes hommes, Rosa se leva brusquement. Elle jeta un regard vers Nate qui secoua négativement la tête lentement. Il avait juré qu'il la protégerait. Qu'il resterait toujours avec elle. Qu'il ne l'abandonnerait jamais. Mais à cet instant elle su qu'elle était seule. Qu'il ne ferait rien pour l'aider. Et pourtant... Pourtant elle s'obstina. Alors qu'elle aurait pu dire n'importe quoi, lorsque les regards s'était braqués sur elle. Mais non, elle s'obstina à balancer ce poids qui la rongeait peu à peu, toujours un peu plus. « C'est moi, Eridan. » Tout le monde avait entendu parler de la fiancée de Nathaniel, le fils quasi-prodige qui avait enfin trouvé quelqu'un avec qui -peut-être- fonder une famille. Mais Rosalind avait tout fait voler en éclat, elle s'était condamnée, et elle le savait pertinemment. Seulement. Elle aurait aimé savoir qu'elle n'était pas seule. Que Nate veillait sur elle, mais il avait baissé les yeux sur son assiette, plus que gêné, perturbé même. Il n'était pas prêt. Il n'était pas prêt et elle le savait et pourtant elle n'en démorda pas. Elle resta figée debout, fusillant du regard sa tante, ses oncles, sa mère aussi, voire même son père. Les deux derniers étaient déjà au courant, ça crevait les yeux. Et pourtant aucun de ceux qui prétendaient l'aimer ne se précipita pour la sauver. Au contraire, ils la regardèrent se noyer envers le regard complètement dégoûté de la tante. Envers le soupir de son oncle et sa remarque blessante soulagea presque sa mère. « On a toujours su qu'il y avait quelque chose de pas net avec toi, Rosalind. » Ça venait soudainement tout expliquer. Comme une excuse toute trouvée, une excuse parfaite. Ce n'était pas une question d'éducation ratée, non, c'était sa création même qui avait échoué. Voyons. C'était tellement plus simple ainsi. Mais le coup de grâce vint directement de sa mère qui reposa le plat vide sur la table avant de murmurer, la gorge serrée : « Sors d'ici. Sors d'ici, je ne veux plus te voir. » Il ne fallait surtout pas pas perdre la face vis à vis de sa sœur aînée, de sa sœur adorée et atrocement portée sur les traditions. Surtout pas.
Brise, brise tous les mensonges dans lesquels tu te murais !


Chroma. C'est ainsi que se nomma sa première amie à Awakening, peut-être même la seule si on y réfléchit bien. Dès le trajet dans le bus, alors que tout le monde se présentait, elles étaient assises sur des banquettes voisines, discrètes, interdites. Certains semblaient heureux d'être là. Et il y avait Chroma et Eridan. Destinées à s'entendre. Quand Chroma critiquait les autres, Eridan se sentait soulagée, elle qui avait tant de mal à le faire, elle apprit à se lâcher. Elle apprit à relâcher la pression, à être honnête avec soi-même, pour être honnête avec les autres. Et avoir Chroma, elle le fut à cent pourcent. Mais jamais son amie ne la jugea sur son passé, sur les sentiments qu'elle s'obstinait à avoir pour son frère. Jamais elle n'émit une seule critique, un seul jugement sur Eridan. Non. Elles furent toujours à l'écoute l'une de l'autre. Et lorsque Chroma eut ses premières expériences avec l'intangibilité, Eridan était là. De la même façon, lorsqu'Eridan fut terrifiée et quasi-traumatisée à ressentir les émotions - souvent terribles - des autres, Chroma était là. Chroma était toujours là, pour lui tendre la main. Sauf qu'à partir de ce moment, les choses changèrent beaucoup. Eridan changea beaucoup. Là où elle était autrefois discrète, toujours aimable, elle devint assez cynique. Voire même blessante. Elle avait mal, de ressentir le mal des autres. Ça lui minait constamment le moral, et elle s'éloignait, encore et encore, quand bien même Chroma cherchait à la retenir, à la soulager, à lui faire comprendre qu'elle aurait toujours du soutient, ça ne suffisait pas. Et alors, son démon changea.
Ton reflet, ton vrai visage, celui de la souffrance silencieuse.


C'était en hiver, au début de l'année 2013, il avait beaucoup neigé sur Awakening et tout le monde évitait de sortir. Mais la vérité, c'est que Rosalind étouffait ici. Elle étouffait avec toutes ces émotions incontrôlables. Elle étouffait à ne pas savoir où étaient les siennes, où étaient celles des autres. Elle suffoquait dans son propre esprit et c'était intenable. Alors elle partit en direction de la forêt, même si son démon - une créature plus ou moins humanoïde qui possédait quatre visages presque aussi déformés et agressifs que les mots qu'il vociférait - la terrifiait, elle voulait juste respirer un peu. Mais son démon ne se présenta pas. Personne ne se présenta. Non, personne ne vint. Pas cette fois. Et elle fut seule, seule pour accepter justement qu'elle avait au final toujours été seule. Que personne ne viendrait la chercher ici. Et quand bien même quelqu'un venait, il ou elle ne pourrait jamais repartir. Alors à quoi bon ? C'était inutile de vouloir condamner quelqu'un ici. Elle se laissa tomber contre les racines d'un énorme arbre et elle soupira profondément pour murmurer ce qu'elle s'efforçait de repousser depuis si longtemps. « Je te déteste, Rosa. » Bien sûr qu'elle se détestait. Et bien sûr que prendre un pseudo ne changeait rien aux faits. Elle se détestait et c'était terrible de se l'avouer. D'autant plus que ça la blasait même carrément. « Arrête de te détester, alors. » Répondit la voix, juste à côté d'elle, contre l'arbre également. Elle était là. Et ici aussi. Elle comprit quasiment automatiquement qu'il ne s'agissait pas d'un tour de passe passe, mais que c'était bel et bien elle, son démon, son fragment d'elle qui la terrifiait, qui était là, assis à côté d'elle, comme son égal. Elle haussa les épaules avant de sourire. « C'est pas si facile. » Cela fit sourire son démon également. Alors elle ressemblait à ça, quand elle souriait ? C'était bizarre en soi. C'était le sourire de Nate qu'elle voyait. Et ça lui fit d'autant plus mal. « Tu veux arrêter de souffrir ? » Il lui fallu quelques instants de réflexion avant de finalement hocher la tête. Elle voulait juste que tout cela s'arrêter, elle voulait juste se réveiller de cet horrible cauchemar qui n'avait pas de fin. Elle voulait juste... Juste cesser de ressentir toute cette peur, cette douleur, et son vœu s'exauça. En un battement de cœur, elle ne ressentit plus rien. Elle ne ressentit même pas le sentiment de vide lorsqu'on ne ressent rien. Elle ne ressentit même pas l'angoisse à savoir qu'on ne ressent plus rien. Non. Elle resta juge figée quelques secondes, à fixer la neige chuter des branches alourdie et elle soupira faiblement.
Le calvaire était enfin fini ?


L'instant où Eridan regretta le plus amèrement d'avoir abandonné Chroma, c'est lorsqu'elle rouvrit les yeux. Lorsqu'elle se rendit compte qu'elle ressentait encore, mais que, si elle ne ressentait plus rien venant de son propre coeur, elle ressentait bien plus fort toutes les émotions des autres. Et elle regretta d'avoir abandonné la seule personne qui faisait presque office d'anti-douleur. La seule personne capable d'annihiler toute la douleur, juste d'un sourire. Sa seule amie. Puisque, visiblement, elle n'était pas une amie pour elle-même, elle avait un peu tout raté avec Chroma aussi. Elle regretta et elle voulu rentrer, mais c'était injouable. Pas maintenant qu'elle était Heartless. Pas maintenant qu'elle était entrée dans l'échiquier. Il fallait qu'elle joue son rôle, il fallait qu'elle se nourrisse car quelque chose de nouveau avait grandi en elle. Quelque chose qui aurait pu être beau, pur, mais qui l'inquiétait en réalité. La lumière, à l'état brute, la lumière aveuglante, brûlante, la lumière si primaire qu'elle pouvait se faire destructrice mais elle la voulait douce. Elle jouait de son jeu de lumière pour attirer les naïfs Blinded dans la forêt, pour les jeter en pâture aux autres. Elle les attirait en toute connaissance de cause. Pour éliminer l'origine de ses tourments. De ces sentiments terribles qui la taraudaient mais dont elle ne savait pas se priver, comme une drogue, la plus délicieuse de toute...
La douleur des autres...