❝ Snow | Lifeforms.

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ft. snow

Alors, tu te sens comment, Eri ? Je relève les yeux, observe la silhouette, mon reflet, elle penche la tête sur le côté, me dévisage, attendant une réponse. Elle m'observe toujours si sévèrement, ne s'inquiète pas pour moi, je le sais, mais ce n'est pas comme si je pouvais en souffrir dans tous les cas. Ça m'est égal, elle fait la discussion, ça comble le vide, interpelle mes pensées, je n'ai pas besoin d'autres chose. « Je ne sais pas. » Je murmure finalement en reposant les yeux sur la forêt, qui s'étale là, à quelques mètres entre les bâtiments aux façades effritées. Assise là, dans cet abribus, je ne me sens pas vraiment victorieuse. Je devrais, pourtant, c'est la première fois que je m'approche tant du village. C'est la première fois que je rentre dans son enceinte, depuis une éternité. C'est la première fois que je réalise cet objectif, fixé comme un rêve, une illusion. Et pourtant, je ne me sens pas mieux. Un peu nauséeuse, tout au plus. T'as rien fait de spécial. T'as fait trois pas en dehors de la forêt. Tu croyais quoi ? Que Chroma t'attendrait, qu'elle t'attendait ici, de pied ferme depuis que t'es partie comme une voleuse ? Bien sûr que non, elle attend pas. Elle a refait sa vie. Comme Nate. Comme tes parents. Comme tout le monde. « Laisse moi, Rosa... » Je soupire, lasse. Elle n'arrive plus à me blesser depuis que je ne ressens plus vraiment quoi que ce soit. Mais ça la frustre et d'une certaine façon, j'arrive même pas à percevoir ce semblant de frustration illusoire. Elle approche, et grimace. Tu crois que tes parents ont enterrés un cercueil vide, Eri ? Mh... A vrai dire, je n'y avais jamais réfléchis. C'est vrai, j'ai laissé des gens, à Great Falls. Et mille fois j'ai pensé à Nate, mais jamais je me suis vraiment penchée sur le cas de mes parents. J'ignore s'ils m'ont considérée morte, peut-être parce que c'était plus facile. Parce que la facilité, ça devait être un truc de famille, au final. Virer sa gosse parce qu'elle pose problème, la faire passer pour morte pour être sûrs qu'elle ne revienne jamais... Peut-être qu'ils te cherchent encore. Peut-être, oui. J'avoue que je n'en sais rien. Cela fait si longtemps que je suis partie que parfois j'ai du mal à me rappeler du visage de ma mère, et mon père. Cela fait si longtemps que j'ai perdu mon restant d'humanité que j'ai du mal à imaginer ce qu'ils ont pu faire en ne me voyant jamais revenir. Je dirais bien que je m'en fiche, mais ce n'est pas vraiment ça. Cela ne m'indiffère même pas. Je n'ai simplement pas l'occasion d'y penser, et maintenant que l'occasion est là, maintenant que j'y pense, je ne sais pas répondre à la question. Tout simplement. Et Nate ? Tu crois qu'il devient quoi ? Il t'a cherché ? Si ça s'trouve, il est mort ici et tu le sais même pas ? C'est comme un frisson qui parcourt mon dos, un simple écho de ce qu'était la peur, quand je la ressentais encore. Pour rien au monde Nathaniel ne devrait venir ici. Pour rien au monde il ne devrait subir ça, à son tour. J'espère pour lui qu'il a refait sa vie, j'espère pour lui qu'il est heureux, quelque part. Et qu'il a réalisé ses rêves. Tout simplement.

Quelqu'un vient par ici, Eridan. Oui, je sais. Je sens quelque chose qui se dégage du bouillon émotionnel qui se scinde en quatre morceaux, là-bas, dans le village. Je le sens. Quelque chose de différent. Si les émotions étaient des couleurs, alors celle-ci serait certainement bleue, clair. Je suppose. Tu devrais partir avant qu'on ne remarque ta présence ici. Pourquoi ? La nouvelle vague est arrivée il y a encore peu de temps, je suppose qu'ils ne se connaissent pas encore tous. Si toute fois l'inconnu me croise, il pensera que je suis l'une des leur, perdue quelque part, isolée pour mieux réfléchir. Alors je resterais là, simplement. A mon arrêt. A attendre un bus retour qui ne viendra jamais. T'irais où, si tu pouvais partir ? Demande Rosa alors qu'elle approche pour s'asseoir à mes côtés. Je soupire faiblement, lassée. En vérité je n'en sais rien. Personne ne m'attend nul part. Je ne suis pas si mal ici. Au moins je ne suis pas seule, il y a toi, Rosa. Tu passes donc ta vie avec un fragment de ton esprit ravagé, tu m'en vois flattée. Les autres Heartless savent à peine que j'existe, Chroma doit m'en vouloir, j'ignore où peut bien se trouver mon frère, et mes parents m'ont sans doute enterrée, comme tu le faisais remarquer. Alors à quoi bon partir ? Errer, ce n'est pas si mal. Au fond, c'est ce que font les fantômes et ce n'est pas très loin de ma condition. Il est tout près, maintenant. Je sais, je peux entendre le bruit de ses chaussures faire crisser les graviers humides. Il y a une petite bruine qui tombe, le genre de bruine qui rend tout humide, qui fait briller les feuilles, qui rend tout gris, aussi. Certains trouveraient ça beau, d'autres trouveraient ça laid, d'autres encore ne le remarquerait pas. D'autres se plaindraient que ça mouille. Je suppose que je trouve plutôt cela agréable, la sensation froide de la pluie contre mon visage. Je suppose que c'est quelque chose qui raccroche à la réalité, au fond. Que, si ça ne me plaisait pas, je ne resterais pas là à contempler l'humidité. Ah. Voilà que la silhouette approche, il vient de tourner, il va passer devant moi. Tu pourrais le convaincre de te suivre, pour les autres. Mais t'es pas douée pour ça, hein ? La première fois, c'était un foutu échec. Alors, bon. Je suppose que c'est ta vie, ça, les échecs et les abandons. T'as peut-être raison, Rosa. Mais je baisse les yeux pour fixer ses chaussures quand il passe finalement devant l'arrêt. Je me demande ce qu'il fait ici, seul. Au fond, les autres ont dû donner la consigne d'éviter de s'éloigner du reste du groupe. C'est étrange... Hé, Eri tu fais quoi ? Voilà que je me suis relevée, que je lui ai emboîté le pas, de toutes façons il ne m'a certainement pas remarquée, peut-être qu'il ne verra pas qu'on le suit. T'es trop près, bien sûr qu'il va remarquer. Peut-être, oui...

Est-ce que tu te sens perdu, Lincoln … Snow ? Tu n'as plus de repère n'est-ce pas. Nul part où aller, pour effacer ce sentiment d'incertitude. Tu ne peux même pas revenir en arrière. Tu ne peux que faire avec, avancer avec ton choix. Point. Ici, tout est si différent. Si calme, et pourtant, tu as l'impression de sentir cet endroit bouillonner en permanence. Comme si ça s'agitait, tout autour, mais que tu étais incapable de voir. Où alors n'en as-tu simplement pas envie, Snow … Tu sais à quoi tu ressembles, mon vieux ? A un fantôme. Comme si au moment même où tu avais pris cette décision, celle de changer de vie, d'effacer l'ancienne, tu avais tout simplement mis fin à tes jours. C'est peut-être ce que penseront tes proches. Après tout, tu en aurais eu toutes les raisons. Toi qui n'a jamais été réellement heureux. Toi qui a toujours vécu pour les autres, jamais pour toi même, toi qui t'es oublié, au fond. Toi. A qui on a reprocher tant de choses, sans même chercher à comprendre. Ils t'ont briser. Ils t'ont fait souffrir. Il ne s'en sont sans doute même pas rendu compte … trop aveuglés par la peine, par la colère que selon eux, tu avais semer. Toi, et toi seul. Toi et ton égoïsme. Ils avaient même été jusqu'à insinuer que tu avais une maîtresse. Une autre femme dans ta vie. Que c'était pour ça que tu avais abandonner Kalie à son malheur, dans sa maladie, dans son désespoir. Oui, Snow. Pauvre petite Kalie. Si triste, si malheureuse. Tu lui avais offert ta vie entière ! A elle. Cette femme que tu n'étais jamais parvenu à aimer et que tu avais même appris à haïr. Qu'est-ce qui t'avait pris de céder ? De l'écouter. De tous les écouter ?! Tu aurais du dire non ! Un grand non. Leur claquer la porte au nez s'il le fallait, dire au monde entier qu'elle n'était pas pour toi, que tu ne l'aimais pas et que tu ne l'aimerais jamais comme elle semblait le désirer. C'était ton amie. La meilleure et elle était devenue ta bête noire. Elle t'avait traîner, entraîner. Elle avait bâti elle même ta vie, et tu étais resté passif, comme le sombre crétin que tu es. Les études, le boulot, l'appartement, et puis le mariage. Et pour terminer ce bébé, la chose de trop. Celle qui avait mis le feu au poudre et qui avait emporter tout le navire. Tout avait chavirer, ça avait même fini par couler. Il ne restait rien. Rien d'autres que toi. Snow.

Tiens … il pleut. Ce n'est même pas une pluie torrentielle. Même pas de vraies gouttes de pluies qui claquent et font du bruit, c'est rien que cette bruine affreusement dégueulasse et dérangeante. Tu ne la sens pas, tu ne l'entends pas, mais elle vient s'infiltrer dans tes vêtements pour les humidifier, elle vient donner au béton, à l'asphalte, cette odeur si particulière. Elle vient se déposer là, par terre pour faire remonter la chaleur des entrailles de la Terre. Tu as une sainte horreur de ce temps là … mais tu n'as pas envie de rentrer. Rentrer où, d'ailleurs ? Dans cette maison, tout prêt de la forêt. On t'y as donner une chambre, un lit. Tu as un toit sur la tête, au fond, c'est un début. C'est mieux que rien. Mais tu ne t'y sens pas chez toi. Là bas, au milieu des inconnus, tu ne te sens pas à l'aise. Tu as cesser d'être sociable. De côtoyer les autres, ou même de t'y intéresser. Parce que les gens t'emportent, les gens te façonnent et te détruisent. Parce que tu es bien trop fragile, pour prétendre pouvoir te frotter à tes semblables. Parce qu'en fait. Snow. Tu sais. Tu es affreusement pitoyable, comme gars. Non mais regarde toi, tu as une capuche, et tu ne la mets même pas. Tes cheveux sont dégoulinants d'eau fraîche, et tu avances, lentement, les mains dans les poches de ton sweat, tu fixes le sol. Tu ne sais même pas où tu es, tu sais encore moins où tu vas. Mais tu y vas. C'est tout.

Tu les entends … ces pas ? Bien sur que tu les entends. C'est discret. Léger. Et pourtant. Ça ne t'as pas échappé. Tu n'es plus seul. Il y a quelqu'un, là. A quelques mètres à peine derrière toi, on te suit. Et si dans un premier temps, tu ne réagis pas, si dans un premier temps tu laisses faire … ça finit par t'agacer. Et tu te poses des questions ? Qui est-ce ? Qu'est-ce qu'il te veut ? Tu soupires. Relèves légèrement la tête. Tu es perdu, de toute façon. Alors tu t'arrêtes, brusquement. Et puis tu te retournes, les sourcils froncés. Prêt à en découdre si on veut te chercher des noises, tiens. Mais tu te ravises. Et ton visage se fait plus doux, lorsque tu la vois. Elle, oui. C'est une femme. Une toute jeune femme, un peu étrange. Elle est trempée, elle aussi. Et la première chose qui attire ton regard, ce sont ses yeux. Ses grands yeux bleus … son regard. Il te frappe. Te transperce. Comme une lame invisible. C'est presque douloureux … sans l'être … t'en sais rien du tout. En fait. C'est juste étrange, comme sensation. Ou alors, c'est juste inédit. Faut dire que tu n'as pas regarder une femme dans les yeux depuis bien longtemps. Par respect pour Kalie, ou peut-être simplement parce qu'elle avait tendance à légèrement te dominer. Tu vois. Pitoyable. « Tu me suis. » Oh, bah oui. Quelle entrée en matière, tu m'étonnes, Snow que tu causes jamais à personne. Quand t'ouvres la bouche, tu fais peur aux gens. « Je veux dire … pourquoi. Est-ce que tu me suis ? » Si ça se trouve, elle te suit même pas, elle va juste … dans cette maison là, ou derrière cet arbre juste là, et tu vas passer pour un con. Mais c'est pas grave, hin. C'est pas comme si t'avais pas l'habitude, mon vieux.

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Finalement, même si je suis ses pas avec acharnement, posant les miens dans les traces que laissent ses chaussures dans la pluie, il finit par ralentir, puis s'arrêter. Je sais qu'il va se retourner, avant même qu'il ne le fasse, et je sais que je passerais peut-être un mauvais quart d'heure, mais dans l'instant ça m'est égal. Puis il se retourne. Et il me dévisage, comme si j'étais une extraterrestre, ce que j'en viens à me dire, ces derniers temps. Vous vous rendez compte, je suis venue jusqu'au village, je suis venue jusqu'ici pour renouer avec quelque chose que je connaissais, pour cesser d'errer dans la solitude, et l'obscurité. Et me voilà face à un inconnu, sous la pluie. Eridan... Il a pas peur... C'est vrai, ça. J'ai tellement l'habitude de ressentir la peur des autres que je m'y suis habituée, même si c'est désagréable, c'est un terrain connu. Mais cette fois, je ne saurais dire ce qu'il ressent, c'est un vrai mystère, et ça m'intrigue, en soi. Je suis curieuse, en vérité. C'est logique, qu'il n'ait pas peur, ce n'est pas la forêt, je n'ai pas l'air menaçante, ni vraiment surnaturelle. Alors. C'est normal. Je suis juste une gamine larguée sous la pluie, c'est l'image que ça me donne, en vérité. Je suppose que ça ne ferait peur à personne. Effectivement. Paye ta Heartless, à peine capable d'impressionner un inconnu. Mais je n'ai jamais vraiment su impressionner les gens. Quand bien même je laissais mes doigts courir sur les noires et les blanches du piano de la maison, personne n'écoutait vraiment, je n'ai jamais été très douée avec les mots, plutôt maladroite et je n'ai jamais vraiment non plus su imposer ma présence. Alors, je me contente de cela, un regard, c'est déjà bien. C'est déjà beaucoup, dans mon cas. La vérité, c'est qu'en devenant Heartless, j'avais fini par me demander si j'étais aussi devenue invisible, la suite des événements avait fini par prouver que ce n'était pas le cas.

« Tu me suis. » Il lance, en me fixant encore. C'est vrai, je le suis. Je n'irais pas mentir en disant que ce n'est pas le cas, il a raison de le souligner, mais s'il essaye de me mettre mal à l'aise, ça ne marche pas vraiment, je glisse mes mains dans les poches de ma veste avant de froncer légèrement les sourcils, la tête légèrement relevée pour le dévisager, en attente de la suite. « Je veux dire … pourquoi. Est-ce que tu me suis ? » Ah. C'était ça, c'était là qu'il voulait en venir ? Hé bien, ce serait plutôt ardu de lui apporter une vraie réponse à cette question. Je suppose qu'il faudra pourtant je faire. Je devrais peut-être commencer à chercher une excuse, tu m'aides, Rosa ? Dis lui que tu le suis parce qu'il est mignon. Ehm. Non, c'est vraiment bizarre de dire ça aux gens. Et c'est assez peu mon genre, en vérité. Alors, je me mordille légèrement la lèvre inférieure une seconde avant de hausser les épaules, lentement. « Je ne sais pas. » C'est la vérité, après tout, mais parfois elle n'est pas vraiment bonne à entendre. Alors, je jette un regard à Rosa, puis à l'abribus dans lequel j'étais assise, avant de revenir à ses yeux, ses yeux ont quelque chose de spécial. En vérité, si je ne connaissais pas au moins de vue tous les Heartless du coin, j'en viendrais à me demander s'il n'en est pas un. Il a l'air si lasse en vérité, si lasse de sa propre existence. Et je comprends, d'une certaine façon, mais c'est tout de même triste, de voir ça sur un si joli visage, je suppose. Il est encore jeune, il a tellement de choses à vivre, pourquoi est-il venu se coincer, ici, lui aussi ? « Tu es passé devant moi. Je n'avais rien à faire, alors je t'ai suivi. » Je murmure finalement, ôtant les mains de mes poches avant de pencher la tête sur le côté, jetant un regard à la forêt qui s'étale là, puis au ciel à la pluie qui s'épaissit de minutes en minutes, devenant plus franche, plus froide aussi. Puis je reviens à lui, je plonge à nouveau mon regard dans le sien, je n'ai pas envie de sourire, juste parce qu'il faudrait sourire dans cette situation, alors j'évite. Et je chuchote, un peu plus bas encore : « Je trouvais étrange que tu te balades seul par ici. » Encore une fois, ce n'est que la vérité, maintenant je remarque que je n'ai pas pour autant de réponse, il a l'air d'avoir besoin de marcher pour marcher, et c'est frustrant de ne pas savoir, de ne pas vraiment ressentir ce qu'il ressent, quand il ne ressent rien. Mais c'est tellement agréable, en vérité, de ne pas avoir cette peur ou cette haine qui vient prendre mes tripes et les secouer dans tous les sens. C'est stupide, sa compagnie est plus agréable que celle d'un millier de gens heureux, coincés là-bas dans une maison au chaud. Sa compagnie est plus agréable tout simplement parce qu'elle est comme une petite lumière tamisée, comme un coin confortable. « Je suis navrée, je ne voulais pas te déranger. »

Regard à droite, regard à gauche. Tu ne peux t'empêcher de regarder autour de vous, comme si au fond de toi subsistait une part de méfiance, un ridicule instinct de conservation. Il arrive bien tard, celui là, dis donc. Et puis tu reviens à elle. Elle reste plantée, devant toi. Tu ne saurais dire, ce qui la rend si étrange à tes yeux. Son attitude sans doute, elle est si calme au final. Tu viens pourtant de lui poser une question … un peu bizarre. Toi, tu aurais été mal à l'aise à sa place. Tu te serais mis à piétiner le sol. A triturer tes doigts, à regarder partout. Ce genre de trucs. Comme n'importe qui se fait prendre en flagrant délit, mais elle. Non. Pas elle. Elle ne fait rien de tout ça. « Je ne sais pas. » Elle sait pas. Elle te suit, pourtant. Elle ne dément pas même pas, à quoi bon. Il n'y a que toi, ici. Juste toi. Elle t'a emboîter le pas, depuis un moment, et elle se contente de marcher dans tes pas depuis quelques minutes déjà. Mais .. elle ne sait pas pourquoi. Et tu plisses les yeux. Comme pour tenter de comprendre l'incompréhensible. Tu l'observes. Elle fixe un point, là quelque part. Et tu suis son regard. Tu ne vois rien. Rien d'autre que le vide. Et puis, elle regarde l'abri-bus. Tu viens de passer devant … c'est là, qu'elle était ? Peut-être. Peu importe, en vérité. « Tu es passé devant moi. Je n'avais rien à faire, alors je t'ai suivi. » Tiens. Voilà qui est … intéressant. Étrange aussi. Un peu effrayant, diront d'autres. Mais toi, tu te contentes de passer une main sur ton visage humide de pluie. T'as jamais rien compris aux autres, alors à quoi bon essayer maintenant, Snow ? Ce serait une perte de temps. Tu préfères laisser couler, prendre les choses comme elles viennent tiens. T'es un habitué, à force. N'est-ce pas ? « T'as de drôles de passe temps. » Ouais. Mais chacun son truc, et tu ne vas sûrement pas juger ça. Elle fait bien ce qu'elle veut après tout, si elle est là, c'est qu'elle fuit quelque chose. Comme toi. Qui décide de changer de vie comme ça, du jour au lendemain pour rien du tout ? Personne. Tu supposes. Chacun ici traîne de drôles de casseroles, c'est tout. Faut s'y faire. Et c'est peut-être pour ça qu'il est préférable d'éviter de s'attacher à quelqu'un dans ce trou paumé. Si ça se trouve, c'est une psychopathe cette fille, par exemple. Non mais regarde là. Avec son calme finalement si dérangeant, perturbant.

Elle retire ses mains de ses poches, t'observes. Il pleut. Il pleut d'avantage. C'est de la pluie, de la vraie pluie maintenant. Des gouttes d'eau que tu peux entendre venir marteler le sol, à tes pieds, tout autour de toi. De vous deux. Ça s'infiltre. Ça dégouline, sur ton front, tes joues. Tu es déjà trempé. Tant pis. « Je trouvais étrange que tu te balades seul par ici. » Étrange … mh. Est-ce si étrange, de fuir des inconnus, au final ? Tu en doute. Chez toi, c'est une réaction plutôt normale, en réalité. « Je connais personne, là bas. J'avais besoin d'air. » Ouais, et t'as surtout envie de connaître personne, d'ailleurs. Ça t'intéresse pas le moins du monde. D'ailleurs, maintenant que tu penses aux autres … il ne te semble pas l'avoir déjà vu, cette fille là. Pas que tu sois connu pour ton sens de l'observation. Pas non plus que tu aimes regarder les gens, ou que tu sois si physionomiste mais. Mais tu as le sentiment que tu si l'avais croiser auparavant, tu l'aurais sans doute remarquée. Elle n'était pas là, dans le bus. Tu en mettrais ta main au feu … « Je suis navrée, je ne voulais pas te déranger. » Ah. Parfait. Tu la fais fuir, tiens. Comme c'est surprenant. Voilà que tu as la désagréable impression qu'elle va te filer entre les doigts. Bah alors, Snow. C'est pas toi qui voulait juste pas côtoyer les autres ? Si elle veut partir, elle a qu'a partir, ça te fera des vacances, non ? Ouais, ou pas. Tu la trouves pas chiante. Au contraire. Elle ne piaille pas. Pas comme Kalie … elle parlait tout le temps. A longueur de journée. Elle répétait sans cesse ton prénom, te posais mille et une question, elle te racontait chacune de ses journées dans les moindres détails, elle trouvait toujours quelque chose à dire, même quand toi, tu aurais aimé avoir juste un peu de silence pour reposer un peu ton esprit. Elle. Elle est différente. Si différente. Elle parle, mais elle parle peu et sa voix et comme … lasse. Comme si chacun des mots qu'elle prononçait, était une véritable corvée, comme si sur ses épaules, elle portait le poids du monde. C'est bizarre, mais sa compagnie n'est pas désagréable. Tu ne sais pas si elle est agréable en revanche. Elle est plaisante. « D'où est-ce que tu sors ? » De l'arrêt de bus, Snow. Tu l'as deviner tout seul, pourquoi tu lui poses la question ? C'est pitoyable comme conversation. « 'Fin. Je t'ai jamais vu. » En même temps, tu viens d'arriver, mon pote, fait pas style tu connais la famille, le quartier, tout ça. T'es nouveau. « T'es arrivée avec le bus ? Je t'ai pas vu là bas. » Là c'est toi, qui parles trop. Là c'est toi, qui poses trop de question. T'es intrusif, Snow. Toi qui ne voulais pas qu'elle parte, toi qui fais tant d'efforts – si pitoyables soient-ils – pour qu'elle reste là. Tu vas la faire fuir, tu sais …

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Eri, je veux pas être négative, mais je crois qu'il te juge, lui. Il a raison, au fond, ça se fait pas de suivre les gens, qu'on les connaisse ou non. C'est un truc qui met les gens mal à l'aise. Peut-être que tu le fais flipper. Non, si c'était le cas, je le ressentirais. Lui... Il est comme un espèce de nuage. Ce n'est pas comme les Heartless, il a des sentiments, vraiment, mais ils sont distants et beaucoup moins scindés que ceux des autres gens. La plupart des autres ont bien souvent peur, ou alors ils sont en colère, ou dégoûté, ou jaloux, mais rarement un mélange de tout ça. Quant aux émotions positives, je sais très peu les différencier et les désigner, tout simplement parce que c'est un terrain que je connais peur de ma vie de Heartless. Lorsque j'ai développé l'empathie, notre groupe était déjà à l'agonie et nous avions perdu un bon nombre des nôtres, les émotions positives étaient bien souvent rares. C'était une ambiance morose dans laquelle l'empathie devenait une véritable malédiction. Je suppose que je l'aurais vécu différemment si elle s'était pointé dans un autre contexte, dans un univers ou la plupart des sentiments forts auraient été de la joie, de l'amour, aussi. Non, ici, à Awakening, ce n'était pas cela. Et malheureusement, il fallait faire avec. Ce jeune homme, là, il était bien différent des Blinded que j'avais croisé jusqu'à lors. Il était calme, il ne semblait pas totalement terrifié. Je me demandais l'espace d'un instant ce qui aurait changé, s'il s'était retrouvé face à son démon, mais je ne voulais pas avoir l'air de lui souhaiter du mal. C'était loin d'être mon intention, en vérité. « D'où est-ce que tu sors ? » Il lance, finalement. J'entrouvre la bouche pour répondre avant de me raviser. La vérité c'est qu'on ne m'a jamais vraiment posé la question et qu'au final, je ne sais pas ce qu'il faut répondre à ça. Je dois lui dire que je viens du Montana ? Que je sors de la forêt ? Alors je reste muette un instant, encore, jusqu'à ce qu'il reprenne, pour clarifier ses propos, sans doute. « 'Fin. Je t'ai jamais vu. ... T'es arrivée avec le bus ? Je t'ai pas vu là bas. » Il sait. Bien sûr qu'il sait. Il sait que je ne fais pas partie du groupe, il sait que je ne devrais pas être là. J'ignore comment il sait, ni pourquoi il le souligne, quand il pourrait simplement ignorer ou monter sa petite enquête, mais il le sait et il le dit. Alors j'esquisse une faible grimace.

Il sait, mais il ne sait pas que tu es le loup, et qu'ils sont les moutons. Je ne me vois pas ainsi, Rosalind. Je ne vois pas si dangereuse. Ce n'est pas ce que je veux être. Et pourtant, je te signale que c'est ce que tu dois être. Si tu veux pas être toute seule. Encore. Je me dis qu'au final, être toute seule ne faisait de mal à personne. Être introuvable, invisible, ça ne pouvait blesser personne. Et que ce n'était pas plus mal. Ici, je suis censée remplir un rôle, une fonction, et c'est trop dur. Je n'ai jamais été douée pour manipuler les autres. Peut-être que je pourrais l'être, il faudrait simplement qu'on m'apprenne comment faire. Maintenant que je n'ai plus vraiment de conscience morale, j'imagine que je pourrais essayer. Oui, essayer. Réussir, ça pourrait être bien. Là tu fais la diva, tu te pavanes avec ton attitude de « Miss larguée » et les gens se demandent ce que tu fous là. T'es chez les méchants, Eri. Les méchants, vraiment ? C'est peut-être comme ça que j'étais destinée à finir. A errer dans un entre deux. Pas vraiment gentille, pas vraiment méchante, pas vraiment capable de prendre une décision. C'est assez ridicule, voire même pathétique, quand on y réfléchit. « Non, tu as raison. J'étais déjà là avant. » Je réponds finalement, reprenant ma marche en lui lançant un regard encourageant, comme pour lui dire de venir, oh, il peut refuser, je n'oblige personne à rien. Mais sa compagnie est agréable. Et la pluie ne fait qu'accentuer cette impression. De toutes les années passées ici, je préfère ces instants de pluie. Le soleil tape trop fort, l'hiver est trop glacial, la pluie de début d'été est terriblement agréable en réalité. Je fixe les épais nuages, sombres, ils rendent un peu tout gris en réalité, si peu de luminosité, ça révèle les choses qu'on ne regarde pas, habituellement. Le vert de la forêt, la couleur des ardoises d'un toit, le brillant d'une pièce par terre, ou d'un bouton. Le genre de truc que personne ne remarque, j'ai tendance à le voir. « Comment sont les gens, au village ? » Je demande, en lui jetant un regard, ma voix est emprunte d'une certaine curiosité, j'aimerais tellement qu'il me parle de Chroma, ou Anung. Qu'il me dise qu'ils vont bien. C'est idiot, au fond, il ne doit même pas les connaître mais...

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